L'homme et le pouvoir
L'homme se livre à une quête individuelle du bonheur. Mais c'est aussi un être social qui se trouve confronté au pouvoir. Déjà présent dans les premiers livres des Fables, ce thème s'affirme surtout dans la seconde partie de l'oeuvre. Le jugement que La Fontaine porte sur le pouvoir est, en général, sévère. Certes, dans les Membres et l'estomac, il montre l'utilité des gouvernants. Mais, la plupart du temps, il dénonce les effets pervers de l'autorité: la fable La Chauve-souris et les belettes constate, par example, la soumission de l'être humain aux idées dominantes, tandis que, dans Les Grenouilles qui demandent un roi, les gouvernés sont mis en garde contre leur dangereuse revendication d'un pouvoir efficace. Dans Les animaux malades de la peste, la critique se fait plus vive, l'indignation éclate contre les puissants, toujours prêts à fuir leurs responsabilités et à trouver des victimes expiatoires. Le Paysan du Danube, élargit le débat, en posant le problème des peuples opprimés par des puissances étrangères.
Les séductions de l'expression
Les fables de La Fontaine constituent tout un univers, un monde aux mille facettes, plaisant, séduisant. Les hommes, les animaux, parfois même les plantes et les objets, y évoluent, y parlent, y créent une atmosphère de fantasie sans cesse renouvelée. Le lecteur est frappé par le bonheur évident qu'éprouve La Fontaine à écrire. Il est gagné par son entrain, Séduit par la variété de l'expression. Rien n'est figé dans la versification. Au contraire, c'est le vers libre qui triomphe, c'est le mariage des mètres, des rimes et des rythmes qui s'impose. Ainsi, dans les Grenouilles qui demandent un roi, se succèdent des vers de 7, 8, 10, et 12 syllabes, des rimes embrassées (abba), croisées (abab), plates (aabb). Et il ne s'agit pas d'un jeu gratuit. La versification est toujours liée a la signification: le vers de 7 syllabes souligne, dans sa dissymétrie, l'affolement et l'indécision des grenouilles, tandis que le vers de 12 syllabes, solennel, accompagne l'évocation de Jupiter ou du roi.
Une grande variété dans les tonalités s'ajoute à cette variété des vers. Le réalisme marque l'évocation de la vie misérable du bûcheron (La Mort et le bûcheron) ou la description de l'agitation du lion harcelé par le moucheron (Le lion et le moucheron). Le symbolisme s'impose, avec la besace, image du comportement de l'homme sensible aux défauts des autres et aveugle aux siens (La Besace) ou avec Les Membres et l'estomac qui démontre l'interdépendence existant entre les gouvernants et les gouvernés. Le lyrisme se développe, avec l'exaltation de la liberté (le Loup et le chien) ou la nostalgie du calme et de la solitude (Le Songe d'un habitant du Mogol. Le pathétique domine dans La Mort et le bûcheron ou dans Le Paysan du Danube. L'humour vient atténuer le tension dramatique (La Chauve-souris et les deux belettes). A chaque fois, La Fontaine sait trouver le mot juste. Attache à l'imitation des Anciens, il affirme son originalité dans l'expression.
L'efficacité de la construction
Les fables s'organisent autour d'un récit, Il est généralement rapide, enlève, mis en scène à la manière d'une pièce de théâtre, Le Loup et le chien se présente ainsi comme une comédie en deux actes avec les deux comportements successifs et contradictoires du loup face à la condition du chien. Les personnages sont campes avec naturel, dans leur réalité profonde.
Les portraits incisifs abondent qui, en quelques mots, rendent compte de la personalité, de l'originalité des êtres.
Les dialogues, tout en introduisant vie et mouvement, précisent la spécificité des caractères. La morale est porteuse de didactisme, mais d'un didactisme souvent atténue par l'humour; elle se trouve condensée généralement en un bref précepte, ce qui évite la lourdeur de la démonstration.
Les thèmes lyriques
Les Fables fournissent l`occasion à la Fontaine de développer de nombreux thèmes lyriques. Parmi eux, le thème de la nature occupe une place importante. Il est présent dans l`évocation de l`environnement où evoluent les personnages: campagne endormie par l`hiver dans La Mort et le bûcheron, milieu aquatique dans les Grenouilles qui demandent un roi, nature riante et odorante dans le Chat, la belette et le petit lapin. Mais il donne également lieu à la méditation, à une aspiration au répos, loin des bruits de la ville (Le Songe d'un habitant du Mogol).
Le thème de la souffrance humaine apparait également à plusieurs reprises. La Mort et le bûcheron ou Le Paysan du Danube sont des cris de révolte contre le malheur des individus ou des peuples. Le thème de la mort pose le problème de la destinée de l'homme: attendue avec résignation (Le Paysan du Danube), considérée avec tranquillité (Le Songe d'un habitant du Mogol), repoussée aussitôt que souhaitée (La Mort et le bûcheron), la mort se présente comme une fin naturelle et inéluctable.
Une philosophie sereine
A l'homme lance dans la quête du bonheur. La Fontaine propose un art de vivre fait d'un mélange d'épicurisme et de stoïcisme, de désir de profiter de la vie et de volonté de maîtriser son destin. Il convient de vivre libre (Le Loup et le chien), de jouir de l'existence en un bonheur simple et insouciant (Le Savetier et le financier). Certes, il faut tenir compte des autres, ne pas se replier sur soi-même (La Besace); mais il faut aussi savoir refuser l'aliénation de l'engagement, dominer tout ce qui perturbe l'équilibre, comme la douleur et la mort.
L`engagement politique
Mais l'instinct de domination qui se manifeste à l'intérieur de toute société constitue un grave obstacle au bonheur. Au fil des Fables, La Fontaine tend à s'engager politiquement, à porter un jugement sur l'organisation sociale et sur les rapports de pouvoir. Il peut, sans crainte de la censure, énoncer ses critiques et proposer ses solutions, en mettant en scène des animaux qui sont, en fait, des décalques fidèles des hommes. Il souligne les ridicules dans les comportements, comme ceux de ces grenouilles qui croient en la vertu d'un gouvernement fort (Les Grenouilles qui demandent un roi). Il dénonce les injustices qui pervetissent la société de son temps: dans Le Chat, la belette et le petit lapin, il met en cause le rôle du juge et les fondements de la propriété. Après avoir discrètement montre dans l`Ode au roi pour M. Fouquet l'ingratitude des grands envers leurs serviteurs, il révèle les abus d'un pouvoir qui contraint ceux qui le subissent à se renier pour sauver leur vie (La Chauve-souris et les deux belettes). En une analyse déjà moderne, il s'elève contre la domination des peuples forts sur les peuples faibles (Le Paysan du Danube). Il dévoile comment les puissants exercent leur autorité pour défendre leurs intérêts individuels, au lieu d'assurer le salut collectif; la grue, désignée comme reine des grenouilles, les mange au lieu de les protéger ( Les Grenouilles gui demandent un roi); le chat, appelé à juger un différend, croque les deux plaignants (Le Chat, la belette et le petit lapin). Bien plus, La Fontaine constate la perverse connivence des opprimes qui acceptent les exactions des oppresseurs: dans Les Animaux malades de la peste, l`ane s`offre lui-même comme victime expiatoire.
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