Baron de Montesquieu
Charles-Louis de Secondat, Baron de Montesquieu (1689-1775)
Vie:
Il est issu d'une grand famille de parlamentaires bordelais. Jusqu'à onze ans, il est élevé au village et au château de La Brède. Il avait vu naître le 8 janvier 16S9. Après des études de droit à Bordeaux, c'est à Paris qu'il découvre avec une curiosité passionée les cercles de lettres, de savants et de voyageurs.
Pour autant, il ne néglige pas la tradition aristocratique et garde son attachement à sa province. A la mort de son père, il entre ta possession de son héritage: le château de La Bréde et ses riches vignobles. En 1716, son oncle lui lègue sa fortune et sa charge de président au parlement de Bordeaux. Toute sa vie, Montesquieu restera fidèle à ses devoirs de magistrat et ses tâches de propriétaire terrien.
Mais son intérêt pour la vie de l'esprit l`emport: membre de l'académie de sciences de Bordeaux, il rédige de nombreaux. traités sur la politique et l'histoire, sur l'économie, sur les sciences. Déjà s'y exprime son indépendance d'esprit, certaines idées sur la religion inquiètent par leur nouveauté.
Rien ne semblait disposer cet aristocrat bordelais, homme de tradition, à venir bouleverser l'histoire des idées. Et pourtant, avec les Lettres persanes, avec De l'esprit de lois, Montesquieu fit entendre les séduction d'un esprit et d'un langage nouveaux, et rendit son siècle "philosophe".
Gentilhomme vigneron enracine dans son terroir bordelais, Montesquieu, paradoxalement, a passé un grand partie de sa vie à fréquenter les salons parisiens. Plus surprenant encore est l'intérêt qu'il portait au voyages et le temp Qu'il leur consacra. Cette contradiction, à l'image d'un personnalité complexe, traduit un ouverture d'esprit et une faculté d'adaptation peu communes. "Quand j'ai voyagé dans les pays étrangers, je m'y suis attaché comme au mien propre", disait Montesquieu. De 1728 à 1731, il fait le tour des pays d'Europe: Hongrie, Italie. Hollande, Angleterre où il séjourne un an et demi. Partout il interroge, observe, compare les usages et les systèmes politiques. Avec curiosité, avec lucidité, il préparait par expérience vécue les réflexions et les travaux que les sources livresque enrichissaient aussi constamment
OEUVRE:
1721 Lettres persanes, roman épistolaire. 1725 Le temple de Gnide, conte libertin 1734 Considération sur tes causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, essai 1748 De l'esprit de lois, essai 1750 Défense de L'esprit de lois, essai 1755 Goût, article donné à l`Encyclopédie (public après sa mort)
LETTRES PERSANES 1721
Sans doute ces réflexions, cette curiosité de savant et de moraliste préparaillent-elles en profondeur la première oeuvre important de Montesquieu, les Lettres persanes. Pourtant ce roman totalement inattendu fit l'effet d'une révélation par son audance et son esprit Il avait été publié à Amsterdam et Montesquieu, par prudence, se regardait bien d'avouer qu'il en était l'auteur. Il s'amusait (mais peut-être s'inquiétait-il) du contraste qui ne manquerait pas d'apparaître entre la grave magistrat qu'il était officiellement et le conteur irrévérencieux que révélaient les Lettres.
Au reste, l'anonymat des Lettres persanes ne trompa personne. Les audaces du roman compromirent même provisoirement l'élection de Montesquieu à l'Académie francaise. Mais le succès ouvrit à l'auteur les salons parisiens ; chez la marquise de Lamber, on débattait des questions de morale, ou parlait du bonheur, au club du l'Entresol, étaient agités les sujets politiques et religieux. Ces cercles mondains, où se formait l'esprit des Lumières, recervaient de Montesquieu autant qu`ils lui apportaient.
Poussés par "l'envie de savoir", deux Persans, Usbek et Rica, quittent Ispahan "pour aller chercher labourieusement la sagesse". A Paris, ils font l'expérience du coutumes et du mode de vie français et s'étonnent de traditions politiques et religieuses différentes de leurs. Pendant les huit années de leur séjour, ils transmettent à leurs amis persans les réflexions que leur inspirait les moeurs occidentales. Il reçoivent en retour les nouvelles d'Orient: durant l`absence d'Usbek, les femmes du serail se sont revoltées. Roxane, la favorite, se suicide. Telle est l'intrigue des Lettres persanes, L'auteur, anonyme, se dormait pour le simple traducteur de cette correspondance a prétendait tenir d`authentique Persans.
En imaginant la confrontation entre le monde orienta] et la monde occidental il travers le regard de deux voyageurs. Montesquieu donnait un thème philosophique de la relativité une forme romanesque qui conduit ces lecteurs : "Rien n`a plus davantage, dans les Lettres persanes, que d`y trouver, sans y penser, une espèce du roman.'' Les Lettres persanes réunissaient en effet toutes les facettes du roman pour former une oeuvre complexe dont les intérêts s'entrecroisent adroitement Les lettres qu'échangent les Persans plongent le lecteur français dans la réalité orientale. La curiosité est grand à une époque ou les relations de voyage en Orient abondent. Aussi Montesquieu ne néglige-t-il aucun effet de pittoresque: calendrier musulman, couleur local style fleuri. Les intrigues de harem et les personnages des eunuques donnent la cote libertine.
Mais l'auteur va bien au-delà des récits de Chardin ou de Tavernnier, ses principales sources. L'opposition ou parfois l'assimilation malicieuse entre l`islam et le christianisme est chargée des sous-entendus critiques. Les remarques faites sur le despotisme orients] permettent d'audacieux rapprochements avec la monarchie française.
A la date où paraissent les Lettres persanes, le personnage du correspondant oriental est déjà devenu un type littéraire. Montesquieu s'inspire de l'Espion turc de l'Italien Marana, paru en 1684. Mais il exploite mieux les resources de la forme épistolaire et fonde le genre du "roman par lettres". L'idée neuve de Lettres persanes et d'établir un réel échange de correspondance entre les voyageurs et la Perse. Les thèmes de l'Orient et de l'Occident sont ainsi liés étroitement, enrichis par la variété de points de vue qui s'expriment.
La succession de lettres dans le recueil permet en outre d'aborder sans transition une grande diversité de sujets, de susciter sans cesse un intérêt nouveau. Montesquieu reconnaissait, avec la forme épistolaire, s'être donné "l'avantage de pouvoir joindre de la philosophie, de la politique ou de lu morale à un roman, et de lier le tout par une chaîne secrète et, en quelques façon, inconnue". Enfin, par la composition habile du roman, l'écrivain ménage des surprises, provoque les rapprochements inattendus, des ruptures de ton, créant ainsi cette "esthétique du contrast"', dont l'écriture des Lumières tirera si grand profit.
Les lettres de Persans donnent lieu a une mordante satire de la société française des dernières années du règne de Louis XIV et de la Régence. Le roi "magicien", le pape, "vieille idole qu'on encense par habitude", le milieux parisiens, les caprices de la mode, les femmes, sont l'objet de leurs critiques malicieuses ou de leurs interrogations, tout aussi insolentes.
En introduisant, dans la société française des observateurs étrangers que tout étonne, Montesquieu créait la distance ironique capable de mettre en cause le bien-fondé des coutumes, de charger en bizzaries les usages Ses mieux admis, et finalement d'ebranler bien des certitudes. "Entrer chez les gens pour déconcerter leurs idées, leur faire la surprice d'être surpris de ce qu'ils font, de ce qu`ils pensent, et qu'ils n'ont jamais conçu différent, ce au moyen de l'ingénuité feinte ou réelle, donner à ressentir toute la relativité d'une civilisation, d'une confiance habituelle dans l'Ordre établi..."
Les grandes questions qui seront les principales revendications du combat philosophique s'expriment déjà dans les Lettres persanes, sous une forme ironique, faussement naïve ou paradoxale qui annonce Voltaire ou Diderot. Le bonheur y est présenté comme une exigence humaine. Montesquieu fait l`élogue de tout ce qui peut y contribuer : la vertu, la justice, le travail, la circulation, de richesses, le développement des ans, des sciences et des techniques. La défense de la liberté passe par l'appel à la tolérence et l'élogue du pluralisme religieux. Sur le plan politique, le despotisme, et son double, l'absolutisme, sont condamnes. La leçon enfin est d'obéir à la nature. Les préjugés et l`hypocricie dénaturent la verité; le roman les démasque. Rites et superstitions sont ridiculisés. Partout les lettres dénoncent "l`anti-nature" : en Occident, aussi bien dans les artifices de la mode que dans le célibat des moines, en Orient, dans la réclusion contre nature du sérail.
La bonne nouvelle des Lettres est que les hommes sont les comédiens qui s'en laissent conter par les charlatans. Les plus sages vivent eux aussi dans l`illusion: Usbek se croyait philosophe et découvre, par le suicide de Roxane, qu'il était un tyran. Organisation du recueil dénonce cette facticité : les lettres "occidentales" s'achèvent, sur la banqueroute de Law; fin d'une gigantesque supercherie financière; dans les dernières lettres "orientales", ce précipite la crise du sérail qui fait tomber tragiquement les masques de despotisme. La société entière repose sur des artifices; le pouvoir et la religion s'imposent par la magie.
Mais Montesquieu montrait que pour dissiper les mensonges et atteindre la verité, il n'est pas plus sur moyen que de provoquer le surpris, le doute. L'écriture des Lettres procède, elle aussi par ruses : la fausse naïvité des Persans est son meilleur masque. La distanciation ironique vient fausser les points de vue habituels. Les cibles sont abordées de biais. Et cette esthétique du trompe-œil appliqué à un monde de faux- semblants finit par redresser les perspectives et fait apparaître en plein la réalité, du mensonge. Montesquieu relevait au XVIIIe siècle le force de contestation qui se dégage d'un style.
Considérations sur les causes de la grandeur des romains et de leur décadence - 1734
Retiré après ses voyages dans son château de La Bréde. Montesquieu se consacra a l'étude de l'histoire. Ses Considérations constituent un livre précurseur de l'analyse historique moderne. Cet essai devait fermer un chapitre d'un ample ouvrage de philosophie politique que Montesquieu méditait depuis longtemps et qu'il commença alors à rédiger. Il ce sera achevé que treize ans plus tard, ce sera De l'esprit de lois.
Montesquieu impose une vision profondément renouvelée de. l'histoire en commençant par refuser l'idée que les faits historiques seraient l'objet du hasard : "Ce n'est pas la fortune qui domine la monde". Si nous pouvons peut-être croire, par erreur, que l'histoire est une suite d'événements fortuis et que des incidents règlent son cour capriceux, l'observation raisonnée doit permettre de découvrir la logique profonde des phénomènes, que masque l'incohérence des faits accidentels.
Bossuet, déjà, avait voulu voir dans l'histoire une logique mais il en attribuait le dessein aux ordres secrets de la divine providence. Montesquieu s'ecarte de ce providentialisme et met au point la théorie du déterminisme historique : l'histoire est déterminée par des causes, qui sont à l'oeuvre à des niveaux différents; les causes particulières sont multiples et apparentes; la cause générale est plus profonde et détermine elle-même toutes les causes particulières.
L'étude de ces causes permet de dégager des lois invariables. Travaillant sur l'histoire romaine, Montesquieu énonce ainsi la lois du déclin des peuples; quand l'esprit général d'une nation est atteint, quand le principe du gouvernement se perd, le peuple nécessairement dégénère. Les circonstances accidentelles ne feront que précipiter une chute inévitable. De l'esprit des lois - 1748
Pendant toutes les années, puisant dans son immense bibliothèque de trois mille titres à La Bréde, fréquentant les philosophes quand il était à Paris et écoutant avec passion les témoignages des voyageurs, Montesquieu organisait, augmentait son oeuvre (Considérations...). Après un travail acharné, devenu presque aveugle, il publia les trente et un livres, ouvrage, disait-il, de toute sa vie.
Paru sans nom d'auteur, officiellement interdit en France, eut un immense retentissement Aussitôt attaqué par les jésuites et les jansénistes, essentiellement pour son éloge de la religion naturelle (née du besoin de croire en un divinité, prend la forme d'un déisme spontané, en dehors de toute Eglise établie) et son analyse critique de la monarchie, le livre est mis à l'Index en 1751 et la faculté de la théologie de Paris en condamne dix-sept propositions. Pourtant, l'auteur avait brillamment expliqué son oeuvre dans la Défense de L'Esprit de lois. Il répondait aux accusations, non en polémiquant mais en clarifiant sa réflexion, en redéfinissant les termes clefs de sa pensée politique.
"J'ai bien des fois commencé, et bien de fois abandonné cet ouvrage", écrivait Montesquieu dans le préface. Il lui consacra vingt années de sa vie.
L'idée fondamentale est que le domain politique, lui aussi, répond à des lois comme le monde physique, que l'on peut dégager le causes qui ont engendré telle législation, qu'il existe de rapports entre les types de gouvernements et la nature des pays où ils sont établis: que les lois, en somme, ont leurs lois.
Il disposait d'innombrables sources pour étudier les régimes politiques, la diversité de lois, des moeurs et des religions. Ses voyages en Europe l'avaient mis en contact avec différents gouvernements : la monarchie parlementaire en Angleterre, la république de Venise; il avait écouté les récits d'étrangers qui venaient des pays plus lointains. Ses lectures surtout nourissent se réflexion : les textes politiques de l'Antiquité, les historiens grecs et romains, les philosophes anglais, les relations de voyages, les rapports des missionaires.
On a reproché à L'Esprit de lois d'abonder en anecdotes, de manquer de structure, de laisser un impression de désordre. Il est de faite que chaque partie se trouve fragmentée en de nombreux chapitres, de longueur très inégale, selon une division apparemment arbitraire. Montesquieu a travaillé plus de dix ans à le rédaction de son oeuvre; il a constamment procédé à des ajouts et à des digressions. Mais ce morcellement, outre qu'il rompt avec la composition traditionnelle de la rhétorique classique et provoque adroitement la réflexion, laisse apparaître un plan qui ne manque pas de cohérence.
LIVRE I : Montesquieu commence par définir les lois comme "les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses“ LIVRES II et III: Puis il distingue les différents types de gouvernement, leur nature, leur principe. LIVRES IV à X : Ils montrent que les lois doivent être relatives au principe de chaque gouvernement LIVRES XI à XIII: Ils traitent du rapports des lois et de la liberté. LIVRES XIV à XXVI : Ils sont consacré aux rapports des lois avec climat et la terrain, les moeurs, le commerce, la monnaie, la démographie, la religion. LIVRES XXVII à XXXI : Ilss sont ajoutés au moment de l'impression de l'ouvrage, étudient les législations romaine et féodale.
Montesquieu est considéré comme le précurseur de le sociologie parce qu'il est le premier à étudier scientifiquement les sociétés et à prendre en compte dans son analyse la totalité du réel. Le juridique, la politique, la psychologie et le morale y sont en constante interaction. La religion même est traitée en fait social, toute comme l'ensemble des composantes qui forment la vie d'un peuple : "Plusieurs choses gouvernent les hommes, le climat, la religion, les lois, les maximes de gouvernement, les examples des choses passés, les moeurs, les manières, d'où il se forme un esprit général qui en résulte."
Parmi ses agents déterminant l`esprit général d'une nation, le climat donne lieu à une étude que Montesquieu fonde sur des observations pseudo-scientifiques. Il y établit que le climat a des effets physiologiques qui exercent une influence sur la psychologie des peuples, et donc sur leur organisation politique. Ainsi, ont aurait de le vigueur dans les pays froids, mais peu de sensibilité aux plaisirs; au contraire, le climat excessivement chaud (d'Orient, d'Asie), amollissant les hommes, les disposerait à la servitude.
Cette "théorie du climat" amène à s'interroger sur l'optitude déterministe de L'Esprit des lois. "C'est la rôle de lois de dégager les peuples de la trop grande emprise du climat Les mauvais législateurs sont ceux qui s'y sont opposés." Il n'y a pas de fatalité en politique. Ni le despotisme ni l'esclavage ne sont inévitables, et Montesquieu condamne radicalement
Montesquieu fut le premier à appliquer l'esprit scientifique à l'étude des faits politiques et des faits sociaux, entre lesquels des rapports et des liens précis s'établissent Cette nouveauté lui valut les foudres de ses adversaires.
Dans le camp des philosophes, on suit l'idéal politique de Montesquieu : son élogue de la monarchie tempérée, sa théorie de la séparation des pouvoirs ( le législatif, l'executif, le judiciaire); son respect des lois, son amour de la liberté, sa condamnation de l`esclavage et de la torture. La Constitution américaine de 1791, les institutions des gouvernements libéraux se sont inspirées de ces principes. Aujourd'hui, nous voyons en lui un précurseur de la déclaration des Droits de l`homme.
Voltaire considérait De L'Esprit des lois comme "le code de raison et de la liberté1'. Alembert célébrait "l'esprit de citoyen" de Montesquieu. Robespierre fera de l'idée de vertu politique, puisse chez Montesquieu, un thème révolutionnaire. Rarement une pensé aura été à ce point sollicité. C'est qu'elle était originale, foisonnante et étrangement moderne.
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